On ouvre le livre et le verdict est sans appel : Gabriel Salin, 47 ans, journaliste au Figaro, n’en a plus que pour trois mois à vivre, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, tout dépend de la marge d’erreur. Deux ans après Lettres à Joséphine, Nicolas Rey nous embarque dans la quête d’un homme déterminé à jouir des derniers instants jusqu’à la dernière miette de beauté.

Trois mois et rideaux !
Gabriel est résolu. Selon la recette de Bernard Blier dans Les Barbouzes où il est question de refroidir un type en usant de « la mauvaise santé par les plantes », Gabriel, lui, opte pour l’anesthésie par les anxiolytiques et les séries américaines en continu. Et ça marche; il ne ressent plus rien, s’endort à grand renfort de tranquilisants pour tenter de réduire en confettis l’image de son ancienne amante, Joséphine Joyaux, artiste peintre célèbre, qui l’a quitté un an plus tôt pour un autre homme.

A première vue, les pires ingrédients semblent réunis pour concocter un mélo cafardeux et pourtant il n’en est rien. Le héros est gagné par un sursaut de vie, le dernier, ce qui change du tout au tout la trajectoire prévue. D’abord, il y a Hippolyte, le fils bien aimé de 15 ans que Gabriel chérit par dessus tout. Et puis, la rencontre de Diane, cette voisine sublime à l’esprit piquant. Le style fluide, direct, débarrassé de sensiblerie, piqué d’humour et de dialogues vifs procure toute l’énergie du roman. En vrac, j’ai noté ces belles trouvailles :

« Les femmes m’ont toujours ensoleillé, mon cher journaliste »

« Il y a des gens qui passent toute une vie à ne pas exister. »

« Car Marseille n’est pas une ville, encore moins une jeune fille tirée à quatre épingles avec un serre-tête et une jupe droite. Marseille, c’est une gamine qui court les rues et qui chante dans tous les sens. J’aime ses couleurs. Son vent qui souffle l’ivresse en permanence. »

Les personnages, qu’ils soient loufoques ou contradictoires, sont, pour la plupart, attachants. Par exemple, comment rester insensible au charme de Clara, l’éditrice-matador, cette tornade chaussée de santiags rouges au vocabulaire fleuri ? Par ailleurs, la relation entre Gabriel et son fils, empreinte de complicité et de compréhension, joliment dépeinte quoique parfois un peu mièvre sur certains passages, concourt à donner au roman une certaine délicatesse. Je pourrais bien sûr évoquer le personnage de Diane la « geniale voisine » mais où serait le plaisir de la découverte s’il fallait tout raconter ? Il faut qu’un livre se découvre lentement à la façon d’un corps que l’on déshabille…

Cette allusion est faite à dessein. Eh oui, car nous ne sommes pas en rade de scènes érotiques, de fantaisies sexuelles de toute sorte, bien écrites en dépit de quelques répétitions. Et ce n’est pas tout, l’histoire n’est pas linéaire: on avance sur des montagnes russes; elle surprend, amuse, attriste, interroge avec une construction rythmée et bien maîtrisée. Et pendant ce temps, entre deux péripéties, le compteur tourne, imperturbable. Tout ce qui reste à faire, c’est donc saisir tous ces grains de sable, les emprisonner tant qu’on peut, tant qu’on se sent vivant parce que plus tard n’existe plus et demain encore moins, alors autant tirer sa révérence sous le créptitement des feux d’artifice.

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