Au bonheur des îles
Vous vous souvenez peut-être avoir étudié le poème de Charles Baudelaire intitulé l’Embarquement pour Cythère, une île qui rime avec calme et volupté. Peut-être aussi vous souvenez-vous d’avoir vu Fletcher Christian en Marlon Brando se réfugier dans une ile paradisiaque. Abandonnez ici toute espérance de découvrir dans ces nouvelles un écho de ces petits paradis.
Pourquoi ? Pour une raison simple. L’individu ! Car c’est lui qui dénature par sa présence ces lieux enchanteurs. La nouvelle éponyme vous éclairera. Tillman, un Américain rejoint son père sur une ile pour y agrandir l’auberge-hôtel familial. Il hérite des lieux et des êtres. Parmi eux, Jevanee le barman qui boit, offre à boire et surtout revendique sa négritude face au blanc. La mère de Tillman meurt dans sa chambre mais le docteur, influent mais peu compétent, déclare qu’elle est morte empoisonnée. Et Tillman qui a « rangé » sa mère dans la chambre froide de l’hôtel doit faire face à la police et aux superstitions locales… On pourrait classer le texte et le recueil au rayon réalisme, mais cela serait faire fi du style de l’auteur – réussite de la traduction – qui distille une ironie salutaire et une certaine tendresse – si, si ! lisez « Navigation à l’estime » avec attention. La manière dont il fait parler Jevanee par exemple est très révélatrice. Quand le barman s’adresse à son patron il parle « petit nègre » avec les élisions que l’on prête aux noirs et quand il parle avec le noir chef de la police il parle « normalement »… et le passage se fait si insidieusement que vous ne le percevez pas immédiatement… et je suis sûr que même prévenu vous serez « piégé »…
Comme d’habitude un recueil de nouvelles se lit lentement et cette fois laissez « reposer », fermenter plus longtemps pour une meilleure maturation…
Bonnes lectures.
Au bonheur des îles
Auteur : Bob Shacochis
Editeur : Gallmeister
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