Jean-François Vézina

Jean-François Vézina

Jean-François Vézina, psychologue et auteur de « Les hasards nécessaires », « Danser avec le chaos », « L’aventure amoureuse » et « Se réaliser dans un monde d’images », de passage en Suisse pour présenter son dernier livre « Tout se joue avant 100 ans » a répondu aux questions de Daily Books :

 

Tu as présenté ton livre au Québec, en France, en Suisse. Tu vois des différences ? Y-a-t-il un accueil différent d’un pays à l’autre ?

 

Oui, c’est mystérieux. Des fois, les prophètes sont nuls dans leur pays ! Alors, je dois être très nul comme prophète ! Je pense que c’est peut-être parce que je me promène dans plusieurs cases, et au Québec, on aime bien avoir des cases bien définies, au niveau de la psychologie, de la philosophie, de la poésie. Ce que j’observe aussi, c’est qu’au Québec, on n’est pas très intellectuels. On a un peu peur des intellectuels. Vous le voyez d’ailleurs ici, les Québecois qui viennent ici apportent un « vent », on nous décrit comme des gens très émotionnels, il y a un côté émotionnel très fort chez le Québecois. La dimension intellectuelle fait peur. Alors que moi, je carbure à la philosophie, je suis drogué de psycho-philosophie, des émissions de France-Culture, je suis plus dans le questionnement et les réponses.

 

Est-ce que tu es surpris par l’accueil en Suisse ?

 

Je suis très agréablement surpris. Les gens rentrent dans le jeu beaucoup plus facilement. Il y a une disponibilité. Cela fait plusieurs années que je viens, depuis plus dix ans, après « Les hasards nécessaires » en 2001. Et par l’approche de Jung, qui est un Suisse, il y a aussi une affinité.

 

Mais là, on a l’impression qu’il y a un décollage avec « Tout se joue avant 100 ans » ?

 

Tout à fait. J’essaie de créer ma propre approche, qui mélange beaucoup de choses. C’est mon livre le moins jungien. Il s’agit de garder une liberté de penser, aussi dans mon approche de psychologue. Les approches éloignent, souvent.

 

Tu dis que tu écris de la psycho-philo-poésie, est-ce un nouveau genre littéraire ou une manière d’être ?

 

C’est une très bonne question. Initialement, j’espère que les gens prennent ce livre comme une expérience : je ne fais pas que lire un livre, je fais une expérience. Tu m’ouvres la piste que le jeu, c’est aussi une manière d’être. Et oui, je pourrais dire que la psycho-philo-poésie peut devenir une manière d’être. La psycho, c’est tout ce qui est connaissance de soi, de ses mécanismes, de ses blessures, la philo, c’est la connaissance de soi mais plus en termes de recherche de sens, et quand je parle de la question phare, par exemple, dans « Tout se joue avant 100 ans », c’est quelque chose de philosophique, il y a quelque chose de garder un questionnement ouvert sur les choses, et la dimension poétique pour moi, c’est la dimension de la créativité, la possibilité d’être créateur de notre vie, la poésie pour moi, ce n’est pas de lire des poèmes, c’est de vivre une vie poétique. Alors oui, je dirais que la psycho-philo-poésie peut devenir une façon de regarder le monde, une façon d’être.

 

Est-ce que tu retrouves cette façon de regarder le monde dans notre monde d’aujourd’hui ?

 

Ma plus grande psycho-philo-poète, c’est ma fille. Moi, je le vois chez les enfants : ce questionnement naturel sur les choses, la curiosité naturelle, l’ouverture, la disponibilité. Ils n’ont pas encore la connaissance de soi, la dimension psychologique chez l’enfant n’est pas encore très développée. Mais la philo-poésie, ils l’ont naturellement. Ils posent des questions : je trouve ça beau les questions des enfants ! Et je le vois disparaître rapidement chez les adultes. Là où moi, je vois des adultes, c’est en consultation (je ne suis pas d’enfants en thérapie, seulement des adultes) et j’observe une mécanisation, une robotisation assez présente chez les gens qui viennent me voir, une espèce de vide, et cette étincelle-là, celle de la curiosité disparaît. Je vois la thérapie comme prendre une personne d’un état où elle est victime, où elle ne joue pas, à un état où elle va être créatrice et jouer avec tout, incluant ses blessures. Oui, je vois que les gens sont de plus en plus endormis, acceptent la convention, et acceptent les choses telles qu’elles sont.

 

« Tout se joue avant 100 ans », est-ce que c’est un livre ou est-ce que c’est un jeu ?

 

C’est les deux. C’est un livre qui se veut une jonction entre l’activité de lire et l’activité de participer. Les gens sont des co-auteurs. J’encourage les gens à dessiner, à jouer avec le livre et j’espère aussi que les gens feront le lien avec Internet. Dessinez votre phare, mettez votre phare sur Internet, allumez-vous un petit coin dans le virtuel, envoyez des idées, envoyez des phrases sur Internet, sur les réseaux sociaux. Par exemple, sur le site du livre, j’ai créé une communauté de gardiens de phare disparus, j’essaie de rassembler une communauté de gens qui veulent remettre le sens du jeu dans leur vie.

 

As-tu une relation interactive avec tes lecteurs ?

 

Par le biais des réseaux sociaux : une fois que le livre est publié, j’aime recueillir les commentaires. Mais surtout avant, j’aime utiliser les médias sociaux pour envoyer des phrases avant de les écrire, explorer l’effet que font certaines idées. C’est ce que j’appelle de l’écho-création : j’envoie des idées et les personnes retournent des idées. J’ai la liberté et la capacité que les gens participent à la réflexion avec moi et de ne pas tomber dans la « gourou-tite », je n’aime pas que les gens me prennent pour un gourou. J’aime qu’on participe à la réflexion ensemble. Je suis content d’avoir créé une petite communauté où on joue avec les idées ensemble. Je décroche de la dynamique de celui qui sait, celui qui ne sait pas, de l’attitude de celui qui a les réponses et que les gens viennent voir pour avoir les réponses. Ce que je souhaite, c’est qu’on discute ensemble. Il y a des gens qui ne sont pas à l’aise, qui sont déstabilisés, pris dans le « il faut », moi, je suis à l’aise avec les incertitudes. Je vous invite à réfléchir sur la société qui vous dit « il vous faut cela ». Mon job, c’est de déstabiliser un petit peu.

 

Tu parles beaucoup de ta vie dans tes livres…

 

J’essaie de chercher ce qu’il peut y avoir d’universel dans mon expérience pour la refléter aux autres. J’ai besoin d’écrire pour me libérer, je me remets en jeu. Puis ensuite, j’extrais les affaires que le monde n’a pas besoin de savoir pour aller chercher l’expérience fondatrice. Comme, par exemple, quand je parle de la dynamique d’abus dans mon livre, ce n’est pas juste de la catharsis, juste pour dire « il m’est arrivé ça, à moi », c’est pour que les gens s’arrêtent et se demandent comment ils sont abusés dans leur propre vie. Je me livre beaucoup, je me remets en jeu, pour inviter les gens à faire le même travail. Et c’est aussi pour donner de la crédibilité au livre. C’est un partage d’expériences.

 

Est-ce que tu t’amuses bien ?

 

Je ne sais pas si je m’amuse bien, mais je m’amuse ! C’est d’avoir le plaisir de jouer avec les idées. Pour moi, m’amuser, c’est stimuler l’âme. Dans l’écriture, il y a tout le plaisir d’écrire, puis celui de rencontrer les gens, moi j’écris pour parler, j’aime pouvoir parler. Il y a plusieurs dimensions, la dimension plus solitaire, comme enfermé dans mon phare où j’écris, et la dimension plus sociale, où on va partager ensemble ce qui a été dit, voir quel sens cela fait. J’espère que cela va nourrir une faim de sens. Le jeu a été inventé par les Lydiens (c’est de là que vient le mot ludique), en période de grande famine. Le peuple avait faim, ils ont joué aux dés une journée, puis mangé le lendemain, rejoué aux dés, etc…et ils ont tenu 18 ans comme ça. Le jeu a été inventé pour tenir contre une famine réelle. Je pense qu’au niveau de la société, il y a une famine de sens aussi. Et il y a beaucoup de gens qui proposent une nourriture à haute teneur calorifique, on en veut toujours plus et ça ne nourrit pas.

 

Quelle est la question phare que tu aurais aimé que je te pose ?

 

Pour moi, la question phare, qui a motivé l’écriture de ce livre, c’est « Qu’est-ce qu’être vivant aujourd’hui ? ». C’est la question qui est en filigrane du livre, c’est son fil conducteur. Une partie de la réponse est « quand je joue ». Quand je suis dans un esprit de jeu, je me sens vivant. Je vois ma fille pleinement vivante, ça me nourrit, ça nourrit ma vie. Quand mon père est mort, il y a deux ans, ça a été ma première expérience de me retrouver face à la mort. Pour moi, la question de la vie est directement liée à la mort aussi. La mort fait partie de la vie. La vie a des petites morts, mais elle n’est jamais morte. Elle continue toujours son chemin, avec des petites morts. Il y a quelque chose qui est plus grand que la mort, et c’est la vie. L’opposé de la mort, ce n’est pas la vie, c’est la naissance.

 

Interview de Jean-François Vézina, à l’occasion de la parution de son livre « Tout se joue avant 100 ans » aux éditions de l’Homme

Pour participer à l’écho-création :

http://jfvezina.net/

https://www.facebook.com/jeanfrancois.vezina?fref=ts

 

 

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