L’Etoile de Massilia est revenue à Ferney-Voltaire mais pas seulement ! Ambitieuse, perfectionniste, elle fait des étincelles par sa présence, son style et moult autres talents dont les scènes se souviennent. Longue focale sur cette saltimbanque de haute-voltige qui nous raconte l’origine de Pièce pour une femme, un violoncelle, cinq violons et un fantôme et demi, donnée à la Comédie de Ferney du 14 au 19 septembre 2021 ainsi que ses autres projets.


Comment et pourquoi Pièce pour une femme, un violoncelle, cinq violons et un fantôme et demi s’est imposée dans ton esprit ?

Cette pièce s’est imposée en effet, le mot est adéquat et prend tout son sens ici. « Imposer  » c’est toujours par la force. Qu’elle soit physique, psychologique ou morale comme quand on dit « ça en impose » , un sentiment d’absolu et de nécessité s’en émane. Par conséquent, en effet le mot ici est bien choisi car ce n’est pas moi qui ai décidé de ce thème mais plutôt ce thème s’est imposé à moi par la force des choses et de l’histoire. 

Plusieurs événements m’ont poussée à composer cette pièce, à savoir la montée de l’antisémitisme en France qui s’est exprimée par le refus de la minute de silence dans les établissements scolaires et quoi de mieux  pour briser le silence que la musique ? Celle de Ravel qui est le fil conducteur de notre pièce, reste en tête . Elle ne s’oublie pas.

Puisse l’histoire de ces hommes et femmes sacrifiés sur l’horloge de la Wehrmacht ne pas tomber non plus dans l’oubli. C’est pour le devoir de mémoire que j’ai écrit cette pièce. Elle s’est écrite dans la douleur mais dans les rires, dans la provocation mais avec espoir, dans la pudeur mais excentrique, dans la douceur mais avec une colère infinie. Elle s’est écrite avec la volonté »de revoir un jour notre pays évoluer sous les lois de l’humain ».

Qu’est-ce qui a été difficile dans l’écriture puis dans la mise en scène d’un tel texte ?

Ce qui a été particulièrement difficile dans l’écriture de ce texte c’était de tenir en haleine le récit au niveau dramaturgique. J’ai en effet tendance à m’aventurer dans les nimbes de la poésie et il fallait condenser ici l’action et la tension.  La difficulté c’est toujours d’élaguer au niveau du récit, accepter d’abandonner sur le chemin certaines idées.

Au niveau de la mise en scène la difficulté a résidé dans le fait de devoir faire vivre des accessoires qui avaient le rôle de personnages. En effet la mise en scène que j’ai tissée s’élabore autour d’instruments de musique qui jouent le rôle des musiciens dans la pièce. La lumière elle- même jouait un rôle à part entière et nous permettait de tout percevoir par l’imaginaire qu’elle suscitait  a été spécialement créée par notre régisseur hors normes et a beaucoup aidé à trouver le lien entre la comédienne et les personnages-accessoires, fantômes absents mais indispensables .

As-tu eu besoin de beaucoup te documenter pour construire ce monologue ?

Je ne me suis pas documentée du tout dans une premier temps pour écrire ce monologue. Tout d’abord parce que cette période me passionne depuis longtemps et donc je la maîtrise historiquement mais également parce que j’écris toujours par instinct, fulgurance ou par le process « d’écriture automatique »que je nomme d’ailleurs dans la pièce. A ce sujet la partie qui évoque l’écriture automatique dans la pièce fut composée selon le procédé cité qui fait appel à l’instinct et l’improvisation.

Concernant la musique de Ravel je n’ai absolument pas voulu me documenter à son égard, favorisant le ressenti au savoir. En écoutant le Boléro, j’entends que c’est un morceau militaire. Après vérification, ça s’est avéré exact. Tant mieux si la poésie rejoint le réel historique. Il s’agit ici d’histoire donc certains détails doivent être avérés et exacts. Mais dans un autre contexte, l’imaginaire poétique doit toujours l’emporter sur le réel .

Ce n’est que plus tard et par curiosité intellectuelle que j’ai voulu me documenter davantage sur le compositeur Furtwängler, évoqué de manière ambiguë justement pour son rôle tout aussi ambigu durant la guerre. Je me suis également passionnée pour des chefs d’orchestre françaises, parmi lesquelles Nadia Boulanger et donc mon idée de baptiser notre personnage « Nadia Duphein ».

Pourquoi ton choix s’est porté sur Annick Gambotti pour interpréter ce seul en scène ?

Annick et moi nous sommes rencontrées au festival d’Avignon quand j’y ai interprété mon seul en scène. Nous avons lié amitié et un jour je l’ai eue au téléphone. J’avais envie d’écrire une pièce depuis les évènements que j’ai cité précédemment mais je n’avais pas le déclencheur. Annick fut ce déclencheur. Elle m’a dit, naturelle, »écris moi une pièce ». Je n’ai répondu qu’on mot » chiche ». Et la machine était lancée. J’ai donc écrit la pièce pour elle , en pensant à ce qu’elle était en tant que femme et comédienne. Son amour pour la musique s’est aussi imposé (gracieusement cette fois) à moi pour monter la pièce durant mes résidences d’écriture chez elle dont je garde un souvenir mémorable. Annick avait l’âge du rôle et ce personnage lui allait comme un gant. Le choix d’Annick pour interpréter Nadia Duphein était judicieux .

Comment est né ton amour de l’art vivant ?

Mon amour de l’art vivant est né en regardant des comédies musicales et plus particulièrement « La mélodie du bonheur« . C’est amusant car le sujet du film est similaire à ma pièce. Entendre cette femme chanter malgré la noirceur de l’histoire, me transportait et je voulais être moi aussi » une part de la saveur du fruit ». Je pratiquais alors le violon et les concerts m’avaient donné goût aussi musicalement à la scène et au public . De plus, j’ai toujours entendu ma mère chanter et c’était un ravissement pour moi.  La musique a été omniprésente.

Enfin, le cirque  et la magie que j’ai eu la chance de découvrir sur mon chemin m’ont donné le goût du spectacle vivant et de la grande illusion.Tout n’est qu’illusion…J’ai toujours su que je serai artiste. Je ne savais juste pas quoi choisir exactement. Alors j’ai décidé de ne pas vraiment choisir et de garder en moi un peu tout ce que je sais être. Même si ce « tout » n’est que très peu.

Si tu devais citer tes trois meilleurs souvenirs sur scène quels seraient-ils ?

Le premier s’est passé en répétition et il est tout frais ! Je préparais un spectacle de danse en parallèle de deux autres créations, en juin dernier, et je dois avouer que j’étais épuisée nerveusement et très stressée. Je travaillais la nuit en plus des répétions de la journée au théâtre de la Comédie de Ferney pour avancer sur mon solo qui devait être prêt fin juillet et je bloquais sur un passage dans une chorégraphie. Impossible de trouver… C’est alors que je craque et je me mets à pleurer. Sur la scène. J’étais dans une position au sol. Le régisseur du théâtre est entré ( je ne l’avais pas entendu avec la musique) et pour me surprendre et me consoler il m’a soulevée par surprise et fait faire sans que je m’y attende un très joli porté venu de nulle part si ce n’est de sa compassion à mon égard. Ça y est, j’avais trouvé la fin de ma chorégraphie….  J’ai ensuite inclus toute une histoire autour de ce porté et c’est la version définitive de mon spectacle. Ce soir là le drap avec lequel je jouais a servi à essuyer les larmes. Je n’oublierai jamais ce sentiment de bonté absolue qui a sauvé ma mise en scène et un peu de mon âme.

Le deuxième est également très récent et remonte à août. Nous jouions une pièce sur Camus à Lourmarin et j’ai voulu préparer une surprise à mon partenaire. C’est ainsi que durant la pièce, j’ai changé le cours de la représentation et lu un extrait de ce que j’ai dit être »l’œuvre de son personnage » alors que c’était en réalité un récit poétique que j’avais écrit pour lui, résumant l’aventure humaine et théâtrale que vivent les acteurs. La régie aussi était complice et a envoyé une musique choisie pour l’occasion. J’aime les surprises et il ne tient qu’à nous de se créer des souvenirs mémorables sur scène.

Enfin, mon dernier choix de souvenir remonte à plusieurs années. J’avais seize ans et nous avions monté un spectacle de cirque et grande illusion avec le Théâtre Off et Nina Chapeau clap. Ce jour-là, nous  jouions dans un cirque et le numéro commençait par la malle des Indes. J’étais donc enfermée dans la malle et le public ne devait pas me voir ( je ne sais plus pourquoi nous n’avions pas de loges et le dispositif était déjà sur scène). Bref, je suffoquais, je manquais d’air et j’étais mal..le directeur que je considère comme mon père de théâtre venait me voir par le petit trou de la malle pour me demander comment j’allais en me disant que nous allions bientôt commencer. Je me sentais vraiment mal mais je gardais en tête une chose » the show must go on ». Je savais que je devais tenir le coup. Et je l’ai fait. C’est un souvenir merveilleux sur l’acharnement nécessaire aux artistes.

Quelles sont tes ambitions en tant qu’artiste pluridisciplinaire ?

Tu fais bien d’évoquer la notion d’artiste pluridisciplinaire parce que mon ambition est justement de produire des travaux visant à mettre en exergue les différents arts que je pratique pour les faire se rencontrer et qu’ils se nourrissent l’ un de l’autre pour donner des formes originales. Par exemple , je poursuis une recherche sur les rapports entre la danse et les arts martiaux qui a donné naissance à une création. Je compte poursuivre ce travail de manière très poussée car les arts martiaux font partie intégrante de ma vie.En tant qu’artiste martiale donc, mon but dans cette discipline est de poursuivre toujours la voie de mon maître afin de m’approcher de la vérité . Le chemin des arts martiaux est parsemé de trésors et il m’aide à poursuivre le mien en tant qu’artiste de théâtre. 

Il y a un projet qui me tient particulièrement à cœur et qui regroupe mes différentes passions, un projet que j’aimerais voir naître , il s’agit d’un opéra que j’ai écrit, une pièce en quatre langues et qui joue autant sur la polyphonie des mots que sur la musicalité en tant que langue à part entière et je souhaite vraiment arrivé à monter ce projet fou qui mêlerait plusieurs langues et plusieurs arts , sur fond de deuxième guerre mondiale ( le thème de la pièce). Cette opéra s’appelle « l’opéra ses quatre sûrs » (clin d’oeil à l’Opéra de quat’ sous de Kurt Weill) et il faut en écrire désormais la musique définitive.

En tant qu’ artiste pluridisciplinaire, mon ambition est de pouvoir poursuivre ma recherche et mon travail dans chacun des arts que je pratique, sans les hiérarchiser et la prochaine étape pour moi c’est le cirque mêlé au chant . Je souhaite également monter une école mêlant la danse, les arts martiaux et le théâtre en parallèle d’un cabaret qui est en train de naître. Comme chacun de nous bien sûr, je rêve de consécration qui se traduirait par la réalisation des deux films sur lesquels je travaille actuellement (qui ont d’ailleurs un rapport avec la pluridiscipline dans l’art) et d’intégrer une grande institution théâtrale comme la Comédie Française. Enfin, la reconnaissance littéraire par la publication de mes pièces et écrits fait partie de mes ambitions à venir et à réaliser.

Y a-t-il des choses qui demeurent encore peu évidentes pour toi sur scène, des choses à apprendre à maitriser ?

Je pense que ce qui reste toujours très laborieux mais qui ne changera jamais c’est la confiance en soi .Je suis rongée par les doutes , la peur et l’incertitude. Il faut donc apprendre à maîtriser les sentiments négatifs ou bloquants et lâcher prise. D’autant plus qu’au final, cela se passe, en général, toujours bien. Il faut maîtriser son stress (même s ‘il doit y avoir cette adrénaline indispensable à notre métier, sans laquelle la vie sur scène ne vaudrait pas la peine d’être vécue) .

Je suis d’une manière générale très à l’aise sur scène. Ce qui reste peu évident c’est l’amorce dans un spectacle. La première phrase par exemple.En effet, pour moi, parler n’est pas naturel et je préfère m’exprimer corporellement. Qu’il est difficile d’être naturel dans l’ouverture d’un spectacle ! C’est un défi sublime. Je dois aussi apprendre à maîtriser un peu mes passions car je suis un être très borderline. Sur scène comme dans la vie, je n’en n’ai jamais assez.

Qu’est-ce qui te stimule au théâtre ?

En tant que comédienne,ce qui est le plus stimulant c’est le défi. Rien ne m’a jamais autant stimulé que quand on m’a dit que « je n’y arriverai pas » ou que  » c’était impossible ». Je repousse toujours mes limites en tant qu’artiste. En tant que spectatrice , ce qui me stimule au théâtre, c’est de regarder notre société par le biais d’un miroir plus beau où la réalité est sublimée , inventée chaque soir par des gens dont les rêves ne cessent de croître pour et par le public.Je viens également y trouver la lumière nécessaire à mon chemin de doute. En tant qu ‘humaniste, ce qui me stimule au théâtre, c’est c’est de pleurer et rire avec de parfaits inconnus, avec des inconnus parfaits.

As tu parfois des doutes pour l’avenir ?- es tu quelqu’un qui doute – le chemin est il décourageant ? qu’est ce qui te donne la force de continuer ?

Non, je n’ai pas « parfois » des doutes pour l’avenir : j’en ai en fait absolument tout le temps et chaque jour. Il est très rare qu’il y ait un matin où je me lève en ayant une confiance absolue en l’avenir et envers moi-même et en la place que je vais y occuper.

Je me demande sans arrêt si je vais atteindre mon but et quel est ce but qui meut sans cesse ? Bien sûr il y a quelques fois des fulgurances et c’est un grand repos pour l’âme mais cet apaisement reste de courte durée car la plupart du temps notre chemin est celui des doutes et de la solitude. C’est la raison pour laquelle il faut apprendre le plus vite possible à être en paix avec soi-même et ne pas justement se laisser ronger par le doute mais continuer quoi qu’il arrive. »The show must go on« , et celui qui l’a clamé et chanté se savait condamné , atteint du sida. Pour cela et pour mille autres raisons, nous ne pouvons que dévorer le doute qui se tapit en nous et y croire sans cesse.

Je dirais enfin que si on y regarde de plus près le mot « doute » donne « duo » ainsi que « et », qui sont donc des mots de liaison et de rassemblement. Il faut par conséquent, au fin fond de cette solitude savoir bien s’entourer de personnes qui sont des soleils , et qui vont venir réchauffer ce chemin de doutes. Enfin, je me souviens qu' »il ‘n’ y a que ceux qui ont la foi qui doutent. »

J’ai la force de continuer toujours parce que je pratique les arts martiaux . Cet enseignement structure, permet de se dépasser et apprend à la fois la persévérance, l’humilité et l’impermanence des choses. Très honnêtement,  j’ai de nombreuses périodes de découragement mais le fait de me rendre au dojo et de pratiquer avec mon Senseï me redonne toujours de l’espoir et de la force pour les projets futurs.

As tu des modèles ou artistes qui t’inspirent ?

Oui, mon professeur de karaté et  kendo. C’est l’artiste le plus accompli que je connaisse. Et j’ai la chance de pratiquer avec tous les jours ou presque. J’ai également des amis très chers , régisseurs , acteurs et poètes qui m’ont inspirée des pièces. Et l’inspiration à la vie est nécessaire.

Tes actualités ?

Alors que je suis en train de répondre à cette interview je monte dans le train pour Paris afin de me rendre demain en Pologne où nous allons jouer une pièce autour d’un auteur polonais ,Norwid pour son bicentenaire que nous jouions à la capitale fin septembre. Après quoi je reprends mes cours de karaté pour les enfants,de théâtre à Marseille pour mes élèves de lycée et à l’université les cours d’écriture avant de remonter fin octobre sur Paris pour aller à l’Unesco afin de travailler avec un célèbre dessinateur décoré chevalier des arts et des lettres pour un spectacle avec lui en février justement sur le thème de la Shoah. Je dois également aller en Avignon travailler.

En novembre ( du 14 au 20), je pars jouer mon seul en scène, à Yerevan, en Arménie pour le festival Shakespeare . Je suis honorée de me rendre là bas et je dois répéter avant afin d’adapter le spectacle pour lui apporter une touche arménienne et notamment apprendre quelques répliques dans la langue du pays.

En parallèle novembre et décembre seront consacrés à l’avancement des films que nous entreprenons avec l’équipe. A la comédie de Ferney, en décembre nous allons jouer une pièce écrite sur Camus ( que j’évoquais plus haut). Cette période coïncide également avec le lancement d’un Cabaret à Marseille ( dans un lieu où j’ai carte blanche). En janvier je joue dans un théâtre à Marseille une création qui se nomme « Happy Daze », au théâtre de la Casina.

En mars, nous répétons en vue de la reprise du spectacle de danse en avril à Marseille (au théâtre du Hangart) et en mai. En Juin plusieurs projets sont engagés pour La fête à Voltaire notamment, toujours à Ferney Voltaire . Enfin, je compte cette année me produire au Festival d’Avignon.

Toute l’année sera ponctuée par des résidences d’écriture , des sorties de résidence théâtrales et des surprises…que je ne connais pas encore pour certaines et que je provoquerais pour d’autres. Enfin, cette saison sera rythmée par des stages et autres événements liés au karaté , au kendo et au sabre , qui sont indispensables à mon équilibre et tout aussi essentiels pour moi.

Et l’amour dans tout ça ?

Joker…. 🙂 Mais à ce sujet, rappelons-nous des paroles de la chanson dans le film Joker justement « Smile, though your heart is aching, smile even though it’s breaking ». Alors sourions à la vie, au théâtre et à l’amour !

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Youtube residence à Ferney-Voltaire

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