lazarus t.1 - extrait

lazarus t.1 – extrait

Outre-atlantique, on ne cesse de parler d’une « fuite de talents » des deux grands éditeurs (DC et Marvel) vers les indépendants, en particulier, Image, qui s’est illustré ces dernières années avec des séries à la popularité monstre comme Saga et The Walking Dead. Au même titre que Velvet de Ed Brubaker, également chez Image, ce Lazarus s’inscrit dans ce phénomène puisqu’on retrouve à l’écriture l’excellent Greg Rucka, qui s’était auparavant illustré sur des comics mainstream (sur des titres comme Wonder Woman, Detective Comics ou 52). Le voilà à présent de l’autre côté du miroir avec les mains libres pour proposer le récit de ses rêves, grande réussite ? On en est pas loin.

Dans un futur dystopique, le monde n’est plus contrôlé par des nations, mais par de puissantes familles, au-dessous desquelles la société est découpée en strates, tels que les serfs ou les déchets, tout en bas de l’échelle sociale. Sur le modèle du servage médiéval, les familles sont censées apporter protection aux classes inférieures, en échange d’une obéissance et d’un dévouement totaux. Si la sérénité règne généralement au sein d’un même clan grâce à ces relations d’obligation, on peut se douter qu’entre familles concurrentes, les choses ne sont pas aussi paisibles. À fortiori lorsque quelqu’un – mais qui ? – semble avoir des intérêts à monter les puissantes familles Carlyle et Morray l’une contre l’autre. Nous suivons Eve, une agente spéciale au service de la famille Carlyle, qui sera emportée malgré elle dans la tourmente, tentant parallèlement de trouver des réponses aux questions qui la rongent.

Avec une maîtrise de romancier déjà étalée à de nombreuses reprises par le passé, Greg Rucka plonge le lecteur de manière magistrale dans cet univers étranger, ne faisant pas de l’exposition dudit univers un passage à vide au cours des premières pages du récit. Cette exposition se fait en réalité en arrière-plan, et c’est au travers des scènes d’action et de dialogues que le lecteur comprendra peu à peu le fonctionnement de cette société dystopique. Le risque dans ce cas est qu’on gagne en urgence ce qu’on perd en clarté, mais Greg Rucka évite cet écueil avec une facilité déconcertante qui rend la prise en main de cette série très immédiate.

L’action est omniprésente et caractérisée par une violence, sinon outrancière, du moins affirmée qui pourra peut-être déplaire à certains, étalant par exemple des exécutions sommaires à bout portant pas des plus confortables. Elle n’est cependant pas hors-sujet car sert à illustrer la violence qui couve dans cette société futuriste, et à donner à la série un certain réalisme plutôt bienvenu.

Du reste, si l’action et la nervosité caractérisent Lazarus, on peut en dire autant des dialogues qui prennent une part au moins aussi importante et dotent le lecteur d’un attachement sincère aux personnages. A commencer par Eve, le « Lazarus » de la famille Carlyle, qui est plus ou moins incapable de mourir – d’où le titre de « Lazarus », hérité du Lazare ressuscité dans la Bible. Son dévouement à la famille Carlyle, qui va jusqu’au meurtre lorsque celui-ci s’avère nécessaire, est contrebalancé par une cogitation sensible chez Eve : elle semble n’obéir qu’à contrecœur, comme si elle ne pouvait faire autrement, ce qui est peut-être le cas. Rajoutez-y ses relations troubles avec la famille Carlyle – elle croit être leur fille, alors que c’est probablement faux – et on obtient un personnage sombre, mais également assoiffé de vérité et d’amour dans un monde de violence et de cupidité. Eve porte quasiment à elle seule ce premier tome et constitue un véritable modèle de caractérisation.

Il faut également glisser un mot sur le travail de Michael Lark, déjà collaborateur de Greg Rucka sur l’excellente série Gotham Central qui déroulait un polar dans la ville de Batman (récemment rééditée chez Urban Comics). L’artiste se situe dans un juste milieu entre des approches détaillées et épurées, parvenant à donner un certain photo-réalisme à ses visages tout en affichant des planches d’une sobriété soufflante, évoquant Alex Toth ou David Mazzuchelli. L’expressivité de ses visages est marquante, s’alignant avec merveille sur la narration, sans jamais créer de décalage entre les émotions affichées et le dialogue. À ce titre, Michael Lark contribue également à attirer de la sympathie auprès du lecteur pour les personnages.

Seule la brièveté de ce premier tome joue en sa défaveur, l’apparentant davantage à une mise en bouche qu’à une fresque d’anthologie. Néanmoins on tient ici la crème du comics moderne, davantage apte à séduire des habitués à la franco-belge grâce à son sérieux, à son univers original et au soin accordé aux personnages. On recommande.

Lazarus t.1
Pour la famille
Série en cours
Dessinateur : Michael Lark
Scénariste : Greg Rucka
Éditeur : Glénat
Collection : Glénat Comics

http://www.glenatbd.com/bd/lazarus-tome-1-9782344008621.htm

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