Balançant entre demi-teinte et constrastes tranchants, l’Ode et le Requiem aborde la condition humaine et ses limites à travers Kenshi, un comédien assoiffé de grandeur. Espérant apprendre à se contenter de vivre dans la simplicité, il entreprend une retraite dans une région montagneuse où le calme peut être aussi effrayant qu’apaisant. Couronné par le Prix de Littérature 2020 de la Société Littéraire de Genève, le roman publié en 2019 n’a pas fini de faire parler de lui. Rencontre à Carouge avec son auteure, la fascinante, Maeva Christelle Dubois.


Es-tu toujours convaincue que nous ne soyons que « des avatars du néant » pour citer la dernière phrase de ton roman ?

Je ne crois qu’à la vie terrestre donc je pense que oui, nous n’avons pas beaucoup d’espoir de vivre autre chose. C’est pour ça que je vois la création artistique comme un rempart contre la peur de la mort. Par contre, j’admets que je peux avoir tort et qu’il existe peut-être des choses que je ne voie pas et qui m’échappent.

L’égo est l’ennemi numéro 1 du comédien et c’est très bien cerné dans ton histoire…

Tous les hommes ont plus ou moins cette pensée : « je suis important, je ne mourrai pas. » Kenshi, le héros du roman, est la caricature exacerbée de cet ego poussé à son paroxysme. L’humain moyen n’a pas forcément ce sens de l’ego destructeur. Le fait d’exercer une profession artistique sous-entend, pour moi, la recherche de quelque chose autre, la volonté de voir au-delà de la vie. Il fallait que le héros ait besoin d’une certaine recherche créative ou artistique. Et c’est vrai qu’il y a un aspect théâtre car l’ensemble de l’oeuvre est comme un tableau, une scène de spectacle, elle est souvent dépeinte ainsi donc cela faisait sens d’utiliser un comédien.

Es-tu Kenshi ou Sélène ?

Indubitablement Kenshi. Mais de façon peu moins intense quand même !

Portais-tu ce sujet depuis longtemps en toi ?

C’est un thème qui m’a toujours parlée; je ne saurais pas expliquer comment ça m’est venu la première fois. Je pense que dans un premier livre, on évoque souvent des sujets très personnels. Chez les Samouraï c’est la mort qui magnifie l’homme et le rend presque immortel. On vit plus longtemps que sa vie grâce à sa mort. Cet aspect m’a énormément inspirée pour mon premier texte. Il est plus beau de choisir sa propre mort et être en paix avec cette idée plutôt que de subir la déchéance. L’esthétique est de demeurer dans sa jeunesse pour toujours; l’idée de vieillir étant assez terrifiante, on demeure une icône dans son jeune âge à l’instar des saints.


Vois-tu l’écriture comme une parade à la finitude humaine ?

Je pense que d’autres moyens artistiques peuvent l’être aussi. J’aurais tendance à dire l’écriture reste le meilleur moyen dans la mesure où elle est matérielle, physique. En tout cas, c’est le moyen que j’ai choisi. Disons que c’est ma meilleure tentative de vivre plus longtemps que moi-même. Néanmoins, ce n’est pas ce qui m’a portée vers la passion de l’écriture, ce n’est pas une passion rationnelle. Ce serait plutôt une affection particulière, quelque chose de beau, de violent qui me porte vers l’art et vers l’art de l’écriture qui est le plus absolu selon moi. En combinant les 26 lettres de notre alphabet, juste du noir sur du blanc, on créé tous les mondes imaginaires, ce qui est assez fou.

Quelles ont été les principales difficultés pour mettre en oeuvre un tel récit ?

Comme je doutais de ma capacité à mener un projet de A à Z. Quand j’ai eu des difficultés ce n’était pas simple de me dire qu’il fallait que je continue. A cette époque, je n’avais pas d’éditeur, un travail à plein temps; donc s’y mettre le soir sans savoir si ça allait déboucher sur quelque chose, sans savoir si quelqu’un lirait mon roman c’était pas forcément stimulant. Et puis, le plan était compliqué, c’était laborieux; j’ai même dû faire deux versions. Tout ce travail s’est fait sur à peu près trois ans. Le deuxième s’est écrit beaucoup plus sereinement, beaucoup maîtrisé dans le processus d’écriture et je suis tout aussi contente du résultat.

Est-ce que ce premier roman laissait présager un autre récit ?

Non pas du tout. Dans mon esprit, je ne ferai qu’un seul livre : c’était la chose que j’avais à dire sur la mort. Et en fait, je m’aperçois que non, je peux encore écrire et cette deuxième fois est nettement moins angoissante. Je me sens moins tenue de tout maîtriser, je me sens plus souple par rapport à ça parce que j’ai acquis une vision à long terme.

Ton premier choc littéraire ?

L’amant de Marguerite Duras. Je l’ai lu à quatorze ans ce qui n’était pas forcément adapté à mon âge ! Mais c’est un magnifique livre. Ce qui m’a frappée c’est la capacité à décrire une beauté, une ambiance dans le style qui est le sien, légèrement nouveau roman plutôt inhabituel et que je trouve très poétique.

Et en ce moment ?

Je dirais que j’ai quatre écrivains contemporains préférés : Sylvie Germain que j’ai découverte récemment et qui a écrit un très beau livre Jour de colère. Pascal Quignard, Christian Bobin et le dernier Pierre Michon que j’aime beaucoup aussi. Ils mériteraient tous d’être plus dans la lumière.

Où écris-tu ?

Je n’ai pas de lieu unique pour écrire tant que le calme est là. J’ai pu écrire en retraite à l’abbaye d’Hauterive à Fribourg et aussi à Vezelay qui est sur le chemin de St Jacques de Compostelle. En autonme et en hiver, il y a une cuve avant la colline et tous les matins, on voit la brume autour, c’est très beau. Le silence m’a beaucoup inspirée; je pourrais vivre toute ma vie dans le silence. La vie monastique me conviendrait très bien ! Je pourrais vraiment me passer de parler et me contenter du silence !

Et pour conclure, un mot sur ton deuxième roman, Miseria, prévu en mars 2022 ?

Je laisse la primeur de communiquer sur ce sujet à mon éditeur mais disons qu’on retrouve beaucoup de mon style avec des paysages très violents. L’action se déroule en bord de mer avec un univers très contrasté. La mort n’est pas le sujet principal en tout cas !

Pour en savoir plus :

Les éditions Romann

Crédit photo centrale : auteure et blogueuse S. M. Legnaflow Site FB , Instagram

Photo : Naomi Wenger

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