« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent » a écrit Victor Hugo. La preuve en est dans Miseria où la vie est rude à la Croix-de-Sel et narrée sans vernis de complaisance. Pour son deuxième roman, l’auteure de l’Ode et le Requiem, dépeint dans un style ciselé et encore plus exigent, une fable sans concession. Une nouvelle réussite laissant en deviner d’autres.

Pourquoi as-tu choisi d’orienter ton récit du point de vue des « besogneux »?

J’aimais surtout l’idée de l’homme qui débute son existence dans les eaux (à l’image de l’origine de la vie) et qui aspire à s’élever vers les cieux. Dans « Miseria », mes personnages, qui vivent une existence profondément injuste dans les bas-fonds sombres du port, aspirent à une « justice naturelle » en laquelle ils croient fermement mais qui ne cesse de les décevoir par son absence. Mon héros aux étranges yeux d’or, Minot, est quant à lui habité de visions d’un jaune solaire qui le persuadent qu’il existe une autre vie, plus clémente, plus « juste », qui l’attend quelque part.

Le jour où il se met à observer ce jaune-là dans sa réalité, comme une tache sur les hauteurs des falaises, il se convainc qu’il s’agit là d’un signe : il s’extirpe alors de ses eaux natales pour s’élever et partir à la rencontre de cet éclat céleste, espérant y trouver de quoi sortir sa mère d’une indigence qui la rend malade. Tant la misère sociale des premiers temps de l’industrialisation que le rapport tremblant à une foi résiduelle (on peut imaginer que mon récit se vit sur les côtes atlantiques à la fin du dix-neuvième siècle) se prêtaient bien à un récit portant à une réflexion sur l’absence d’une justice cosmique.

Cette histoire a des accents de conte fantastique. Serait-ce un style que tu aimerais explorer davantage?

Je tiens beaucoup à invoquer un certain imaginaire dans mes productions : il me permet d’amplifier une réalité, de la sculpter à l’image du texte. Cela me permet de proposer une esthétique englobante où les questionnements des personnages ne se limitent pas à leur vie intérieure, mais viennent s’ancrer physiquement, dans les mondes qu’ils perçoivent autour d’eux. On trouve, dans mes textes, des rêves, des visions qui prennent forme, des aspects très oniriques… ces éléments sont souvent ambigus, voire assez sombres, mais ils ne sont jamais vraiment « fantastiques » non plus. Puisque c’est une démarche qui me plaît, je pense qu’elle continuera à être plus ou moins présente dans mes textes futurs, mais j’ai beaucoup d’idées pour varier les approches en la matière.

Est-ce que la conception de ce texte a été complexe ou au contraire évidente ?

Plus évidente que celle de mon premier roman, du fait précisément de cette expérience antérieure réussie ! Pour le moment, je puise mes inspirations littéraires dans mes intérêts fondamentaux. Tant la sociologie des classes sociales que la quête de foi (et par là le fait que nous nous persuadons que le monde puisse être juste, ou orchestré de manière à l’être) me passionnent, ce qui m’a permis de nourrir mon texte. Le cadre m’est venu très vite : j’avais l’idée, à l’image d’un tableau, d’opposer un bleu aquatique destructeur à des éclats de feu céleste. Le décor a été intuitivement présent, comme une pulsion créative. L’histoire est venue ensuite, nécessitant une réflexion posée et beaucoup de recherches.

Existe-t-il des auteurs qui t’ont inspirée pour construire cette histoire ?

Je ne pourrais pas en citer un ! D’ailleurs, je ne tiens pas à m’inspirer d’un auteur en particulier. Nous sommes bien entendu tous le fruit de ce qui nous a nous-mêmes touchés, ou émus, mais je préfère laisser ces inspirations à mon inconscient. Je suis très sensible au courant artistique du romantisme, ceci dit, surtout au niveau des arts visuels, mais mes lectures favorites sont presque toutes du vingtième (et du vingt-et-unième) siècle.

Dans quelles conditions as-tu écrit ce récit ? (tôt le matin, en résidence, en musique…)

Dans le silence le plus absolu… il s’agit là de mon seul impératif. Entendre le monde autour de moi tend très facilement à me déconcentrer : cela m’empêcher d’écouter la voix intérieure qui dicte mes phrases. La solitude m’est largement préférable, elle aussi, mais elle ne m’est pas indispensable pour peu que le lieu soit silencieux. A partir de là, même un lieu peu confortable me convient, je n’y attache pas trop d’importance.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la réalisation de cette œuvre ?

Mon texte est un océan de noirceur clairsemé d’étincelles. C’est un choix artistique… mais pour qu’il tienne la route, il faut que ces étincelles-là soient puissantes puisqu’elles doivent précisément contrebalancer une quantité certaine de ténèbres. L’équilibre était assez délicat à trouver : le résultat est suffisamment harmonieux à mon goût, mais il en résulte un texte objectivement intense de bout en bout, bruyant comme un océan déchainé. J’ai adoré cette expérience créative.

D’après tes deux romans, la nature joue un rôle important. Quel regard portes-tu sur elle ?

Je lui trouve une beauté originelle qui nous renvoie à l’origine des hommes, à leurs premiers questionnements. La nature, c’est la nudité face à la réalité de ce que nous sommes. Elle permet un certain dénuement qui me serait plus difficile à trouver si je ne lui offrais pas une place prépondérante, même si j’aimerais aussi varier un peu ma manière d’aborder les éléments naturels dans le futur.

Certains de tes personnages ont des comportements exaltés voire extrêmes. Est-ce ainsi que tu aurais aimé vivre ?

Vivre, je ne suis pas sûre… mais lorsque j’écris, je théâtralise – ou j’esthétise – des pensées ou des réflexions personnelles qui se voient ainsi amplifiées. Mon travail littéraire est pensé comme une mise en scène visant à magnifier un propos : je n’ai ainsi pas de problème à utiliser des aspects parfois oniriques ou exaltés, tout en cherchant à maintenir un équilibre et une subtilité fondamentalement nécessaires.

Quelles sont tes actualités ? (lectures, dédicaces…) et où peut-on se procurer ton roman ?

J’étais au Salon du livre le 19 mai 2022 pour une séance de dédicaces suivie d’une rencontre avec le public, puis à d’autres événements littéraires dont les Estivales du livre de Montreux et le Festival du Lac ! On peut me suivre sur Instagram (maeva.christelle) ou sur Facebook facebook.com/maevachristelledubois) ou pour obtenir mes dernières actualités !

Crédit photos : Justine Givry

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