sex criminal t.1 - extrait

sex criminal t.1 – extrait

 

De l’avis de beaucoup, aux États-Unis, le vent tourne gentiment en faveur des éditeurs indépendants qui s’escriment à proposer des titres originaux prenant leurs distances avec le genre super-héroïque pour renouveler la bande-dessinée américaine. Le succès colossal de The Walking Dead a contribué a redonné ses lettres de noblesse aux comics indépendants – c’est-à-dire affiliés ni à Marvel, ni à DC Comics. Actuellement, Image et consorts grignotent donc lentement des parts de marché aux dépens des deux géants installés depuis des décennies, avec des titres comme Saga ou Lazarus en figure de proue. Parmi ces locomotives, Sex Criminals s’est distingué en 2014 par la récompense ultime que peut recevoir un comics aux États-Unis : l’Eisner Award de la meilleur nouvelle série. Mais est-ce mérité ou est-ce que les juges ont simplement cédé à leurs instincts graveleux ?

Suzie et Jon possèdent un don particulier : lorsqu’ils atteignent un orgasme, le temps se fige autour d’eux, et ne reprend son cours que lorsqu’ils sont de nouveau en état d’excitation sexuelle. Alors que vous, lecteur, profiteriez de ce don pour aller cambrioler des banques, eux décident de… cambrioler des banques, justement ! Mais attention, pas n’importe quelle banque ; ils cambriolent de méchantes banques pour permettre à la pauvre bibliothèque du coin, sur le point de se faire déposséder par ces mêmes banques, de subsister. Mais jusqu’à quand pourront-ils continuer leur croisade en toute impunité ?

Il est important de remarquer d’emblée que Sex Criminals n’est pas, en dépit de son titre, une bande-dessinée érotique. Si scènes de sexe il y a, elles sont rarement étalées plus que ne le réclamerait le scénario et jamais les auteurs n’essaient d’installer une ambiance coquine pour émoustiller le lecteur. Au-delà de la provocation, qui joue en leur faveur, le thème de la sexualité est utilisé avec un mélange de légèreté et de sérieux étonnant, reflétant un peu l’attitude moderne vis-à-vis de la sexualité : l’homme semble ne jamais avoir été aussi détaché et complexé par sa sexualité. En observant Suzie traverser l’adolescence en découvrant son don, Matt Fraction retrace la solitude que chacun connaît à travers la découverte du monde de la sexualité. Son don – faire arrêter le temps – l’isole inévitablement de ses partenaires, installant un décalage dans ce qui semble être avant tout un grand acte de partage, puisqu’elle le vit dans une solitude et incompréhension profonde. Est-ce que ce n’est qu’à elle que ça arrive ?

Plutôt que de sexe, Sex Criminals parle en fait de solitude. Et c’est là où il est réussi. Car lorsque Suzie rencontre Jon, c’est à des années de questionnement solitaire qu’elle met fin, trouvant enfin son âme sœur, qui partage la même solitude. Peut-être une métaphore de l’impression qui peut tous nous emporter lorsqu’on a le sentiment d’avoir rencontré la personne qu’on attendait ?

Pour le reste, les thèmes de la sexualité et de la pornographie sont déroulés en arrière-fond sur des mélodies plus légères. La publicité de Glénat vante ainsi « une fable drôle et cocasse », et il y y aura sûrement des lecteurs, mi-gênés, mi-amusés, pour pouffer devant certaines descriptions abracadabrantes de positions sexuelles, mais ce n’est pas en premier lieu de son humour que Sex Criminals tire son efficacité. Par ailleurs, la croisade « Robin des Bois » un peu simpliste de Jon et Suzie ne passe pas entre les filets d’un jugement attentif si celui-ci n’est pas distrait par le magnétisme de la sexualité; en effet, il est toujours un peu facile de blâmer les « méchantes banques anonymes » pour sauver le « gentil libraire du coin qui m’a toujours donné de bons conseils ». Dommage également que cette quête de « justice » lance l’intrigue sur des chemins plus conventionnels qui opposent ensuite banalement Suzie et Jon à une sorte d’unité de police spéciale composée d’agents possédant le même don qu’eux.

Les dessins de Chip Zdarsky, dans un registre cartoon très tendre, se marie étonnamment bien avec la direction de la série. Ils apportent une naïveté et une innocence très à-propos qui ne contraste pas tellement avec les thèmes peut-être scabreux. On montrera un enthousiasme plus modéré pour les effets numériques lumineux qu’il a jugés bons d’appliquer aux scènes où Suzie met en exercice son « don ». Si ça permet de les distinguer immédiatement pour le lecteur, leur modernité forcée contraste trop avec le style plus épuré qui occupe le reste de l’album, et il y a fort à parier que ces effets digitaux vieilliront assez mal avec le temps, à l’image des effets spéciaux des films des années ’90.

Amateurs d’érotisme, vous risquez de rester un peu sur votre faim. En revanche on vantera l’originalité et l’audace – au demeurant pourtant relative – de cette série au thème atypique, qui offre de belles séquences d’émotion dans la solitude de son personnage principal. À côté de cela, Sex Criminals cède cependant un peu à la facilité en retombant sur une intrigue classique, articulée autour de la pyramide gentils-pouvoir-méchants-obstacles. Une curiosité qui vaut le détour, mais on ne criera pas au chef-d’œuvre.

Sex Criminals – Volume Un
Un Coup Tordu
Série en cours
Dessinateur : Chip Zdarsky
Scénariste : Matt Fraction
Éditeur : Glénat
Collection : Glénat Comics

http://www.glenatbd.com/bd/sex-criminals-tome-1-9782344008652.htm

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